Alexandre Beaufils ne fut pas toujours appelé ainsi. Son premier nom fut Kim Manhae, si l'on en croit les quelques papiers officiels qu'il reste de cette époque. Une époque qui, aujourd'hui encore, reste floue dans l'esprit du jeune homme. Il aurait peut-être été aimé. Il aurait peut-être passé sa vie là-bas, à Donghae, en Corée du Sud, auprès de ses parents. Il aurait peut-être grandit au son des boys band et été gavé de riz toute sa vie, si sa mère avait survécu à sa mise au monde. Personne ne sait qui elle était. Personne ne sait qui était le père, non plus. Elle avait accouché sous X, et personne n'a reconnu l'enfant. On lui inventa alors un nom. Kim Manhae. Après le séjour nécessaire à sa survie dans la maternité, on s'empressa de s'en débarrasser. Il atterrit alors dans un orphelinat, géré par une dame dont les cheveux bruns étaient presque tous partis. Les années passèrent, et Kim Manhae devint un petit garçon bien silencieux. Les cris, les rires, les pleurs ne faisaient pas partie de son monde. Il était calme. Peut-être même un peu trop.

« Ce petit, là ? Vous êtes sûrs ? »
« Oui. C'est un enfant comme lui que nous recherchons. »

Il ne leva même pas la tête pour voir qui parlait de lui. Il jouait avec son ourson en peluche, coupé du monde. Il avait toujours été dans sa bulle. La dame avec une calvitie vint le chercher, le tirant par le bras, et l'amena aux personnes qui étaient venus pour l'emmener loin d'ici. Les papiers furent remplis rapidement, et ils prirent le premier avion pour la France. C'était la dernière fois que les tout petits pieds de Kim Manhae foulaient le sol du pays du matin calme. C'était aussi la fin d'une époque qui avait duré quatre ans. La mort de Kim Manhae, et la naissance d'Alexandre Beaufils.

François et Cécile Beaufils formaient un couple bourgeois-bohème quelque peu désespérant. Tandis que Madame suivait des cours de jardinage, Monsieur faisait les courses dans les marchés bio. Alexandre, lui, se retrouvait plongé dans un univers qui ne lui plaisait pas. Lui qui voulait jouer à la console comme tous les autres enfants qu'il rencontrait à l'école, se retrouvait avec des maquettes de bateaux à construire soi-même pour Noël. Au lieu d'un skateboard, il avait un club de golf. Au lieu de Mcdo et des pizzas, il avait les légumes du potager. Quelle vie, pour un enfant ?

Puis il y eut sa neuvième année. La famille Beaufils avait fait ses cartons, et avait quitté Paris pour Arradon. La vue de la fenêtre de la chambre d'Alexandre était magnifique. L'Océan s'étendait sous ses yeux, à perte de vue, et venait s'éclater contre les falaises de Pen Boch' dans un bruit rafraîchissant. Le paysage était splendide, bien plus beau que la Villette à Paris. Il pouvait sortir, se rouler dans le sable, courir après les lézards, escalader les dolmens. Il y avait un camping pas loin, où il pénétrait sans scrupules pour s'incruster aux fêtes et piquer une tête dans la piscine. Parfois lorsqu'il sortait dans le jardin, des lapins s'y promenaient. Tout annonçait une vie paradisiaque. Jusqu'à ce qu'il n'entre à l'école du quartier. Jusque-là, il n'avait jamais subit de remarques de la part de ses camarades - sûrement parce que ceux qu'il avait connu à Paris le connaissaient depuis la plus petite classe. Mais cette fois, il ne fut pas épargné par les enfants qu'il rencontra. Une blague tourna dans la classe de CM2 dans laquelle il était, et certains ne se retenaient pas devant lui. Alors qu'il était en train de manger sa pomme, assis sur un banc dans la cour de l'école, des enfants passèrent en étirant leurs yeux, et en prenant un faux-accent asiatique, tandis que d'autres les suivaient en riant.

« Hé, regardez ! Je suis un chinois ! CHING CHONG ! »

Alexandre, qui avait toujours préféré répondre aux imbéciles par le silence, pris sur lui et se contenta de serrer les poings. Une fois. Deux fois. La troisième fois, il se leva, et ses yeux bruns n'avaient encore jamais montré autant de colère. Le jeune Amaury, qui venait de se moquer de lui, le regarda en riant.

« Quoi ? Tu veux du riz ? »

Alexandre en avait par-dessus la tête. Il ne supportait plus d'être traité différemment par les autres enfants. D'être une blague. Ses yeux commençaient à s'embuer, et il pinçait très fort ses lèvres pour ne pas laisser échapper un sanglot. Il était plus fragile que les autres enfants. Il y avait encore cette bulle qui l'entourait. Une timidité maladive qui l'empêchait de se défendre et le rendait plus sensible aux remarques. Amaury s'approcha de lui, et il se passa quelque chose d'étrange, de magique. Le sac à dos du garçon s'ouvrit par le bas, et tout son contenu se rependit sur le sol. Or, Alexandre savait qu'à l'intérieur, Amaury avait stocké des billes, et qu'il était interdit d'en ramener à l'école. Il avait eu envie de le dénoncer pour se venger, mais les billes étaient sorties d'elles même de leur cachette, et la directrice, alarmée par le bruit de la centaine de billes qui dégringolait sur le sol, passa la tête par la fenêtre. Lorsqu'elle vit les petits objets interdits, elle sanctionna le jeune élève.

Lorsqu'il rentra à la maison, ses parents ne voulurent pas le croire. Pourtant Alexandre en était sûr : c'était lui qui avait fait craquer les coutures du sac de son camarade de classe. Il fut puni pour avoir tenu tête à son père, disant qu'il était un « menteur » car il répétait que la magie n'existait pas. Vous n'imaginez même pas le triomphe qu'on pouvait lire dans les yeux du jeune garçon lorsqu'il découvrit sa réelle nature, son don de sorcellerie, et son admission à l'école de magie Française : le château de Beauxbâtons !

Les apparences sont trompeuses. Alexandre a beau avoir l'air vaillant, il n’a jamais été capable de surmonter sa plus grande faiblesse. L’ignorance de sa véritable identité lui a laissé pour handicap un manque indéniable de confiance en soi. Il ne complexe pas sur son physique, ni sur ses résultats à l’école, mais sur l’absence d’authenticité de sa personne. Être un enfant adopté n’est pas la plus facile des façons d’être – d’autant plus lorsque l’enfant ne peut se trouver aucune ressemblance à ses parents. Cette femme blonde aux yeux verts, et cet homme grand et fort, avec un regard plus bleu que l’océan ; il ne leur ressemblera jamais. Il ne peut pas se fier à eux pour imaginer son avenir. Ils n’ont rien en commun, rien d’associable. Ils sont français, il est coréen. Ils sont vieux, il est jeune. Ils sont moldus, il est sorcier. Ils l’ont choisi, il n’a pas eu de choix. Ils ont encore leur mère, il a tué la sienne en naissant. Quoi de plus frustrant ?

Ses résultats tiennent tout de même la route, sans pour autant être excellents. Il avance à son rythme, a la flemme de temps en temps, se repose parfois un peu trop. Il a peur des représailles, ce qui le mène parfois à faire une crise d’angoisse avant d’aller en cours si jamais il a oublié de faire ses devoirs ; mais ça n’arrive pas très souvent. C’est un grand timide, il ne lui viendrait jamais à l’idée d’aborder quelqu’un qu’il ne connaît pas. Cependant, il aime la compagnie des gens un peu extravertis, qui ont la faculté de le mettre à l’aise sans avoir à faire des pieds et des mains, mais fuit les personnes trop curieuses, par peur qu’on lui pose des questions auxquelles il ne puisse répondre.
Alexandre a la fâcheuse habitude de parler en dormant, principalement des choses incompréhensibles pour les personnes ne vivant pas dans sa bulle. Il a aussi très peur des abeilles depuis que l’une d’entre elles l’ait piqué à la fesse...

Grand, élancé, les cheveux noirs coupés généralement courts ; le jeune asiatique n’a pas vraiment de quoi complexer. Les jeunes filles diront que son charme vient de son regard, pétillant et profond. Il est vrai que ses yeux, bien sûr en amande et soulignés de sourcils bruns légèrement inclinés vers l’intérieur, laissent une impression de douceur même lorsqu’il n’en éprouve pas particulièrement. Mais lui, il préfère son nez. Assez petit pour ne pas trop attirer le regard, mais assez grand quand même pour qu’on le remarque, il remonte légèrement en trompette et laisse voir deux petites narines qui remuent lorsqu’il se met en colère. Il ne fait d’ailleurs pas peur lorsqu’il est en colère – On croirait voir un enfant contrarié. En revanche, il n'aime pas vraiment son sourire. Et c’est bien dommage, car c'est sûrement le plus beau de toute la Bretagne. De belles dents blanches, bien taillées et bien placées - à part peut être ses incisives qui sont légèrement trop grandes, qui se montrent timidement lorsque ses lèvres roses se courbent en un sourire angélique.

La peau d’Alexandre est délicate – une peau de bébé, blanche et lisse à souhait. S’il était resté dans son pays d’origine, il aurait sans doute été mis sous les projecteurs pour elle. Il a quelques grains de beauté dans le dos, et une tâche de naissance sur la cuisse gauche, ressemblant à une petite tâche de café. Il a également une cicatrice un peu rose dans la paume de la main droite, qu’il s’est fait alors qu’il essayait de couper un morceau de fromage tout seul à 6 ans. Par ailleurs, il est droitier.